
03/04/2025
Sentürk Demircan, passeur d'émotions
Aurelie Resch
Journaliste de voyage, chroniqueuse, écrivaine, rédactrice
3 Avril 2025
Aurélie Resch : Pour toi, la Turquie, c’est… ?
Sentürk Demircan : C’est un monde en soi. Une terre de lumière et de contrastes, à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Une mosaïque d’histoires, de croyances, de paysages et de peuples, qui dialogue avec le passé tout en restant résolument vivante. La Turquie, c’est chez moi — mais c’est surtout un livre ouvert que j’invite chaque voyageur à lire, à ressentir.
Chaque région est une page chargée d’émotions, chaque rencontre une trace ineffaçable. Il suffit d’y poser les pieds pour que quelque chose s’éveille. Ici, la terre parle à l’âme.
A.R. : Raconte-nous ton parcours et la naissance de Scope Voyage.
S.D. : Je suis un amoureux du voyage, un passionné de l’humain. Mon frère Ertürk et moi formons un binôme depuis toujours : deux frères, deux complices, deux artisans du tourisme. Tous deux diplômés du lycée francophone Galatasaray à Istanbul, nous avons commencé à travailler dans le secteur très jeunes, chaque été pendant notre scolarité.
Aujourd’hui, avec nos 50 ans passés, cela fait plus de trois décennies que nous dédions notre énergie à faire découvrir la Turquie autrement.
De cette passion partagée est née Scope Voyage, notre agence réceptive basée à Istanbul, soutenue par notre entité sœur en France, Galata. Ce double ancrage, franco-turc, est notre force. Il nous permet de comprendre les attentes, les sensibilités, les rêves de notre clientèle exclusivement francophone — et de créer des expériences sur mesure, sincères et respectueuses. Ertürk dirige Galata à Paris, spécialisée dans les voyages de groupes turcs en Europe. Moi, je suis à Istanbul, au cœur de notre activité "incoming", entouré d’une équipe passionnée. Ensemble, nous imaginons des circuits privés, des autotours, des séjours culturels, mais aussi des GIR intimistes, limités à 12 participants, avec départ garanti chaque mardi pour Istanbul ou Istanbul+Cappadoce.
Notre promesse est simple : tisser du lien, faire découvrir une Turquie sensible et authentique, à taille humaine.
A.R. : Comment Scope Voyage se démarque-t-elle de la concurrence ?
S.D. : Par notre ancrage culturel et notre engagement humain. Chez nous, chaque voyage est une pièce unique, cousue main. Nous sommes présents à toutes les étapes, du premier appel jusqu’au dernier au revoir à l’aéroport. C’est cette proximité qui fait la différence.
Nos circuits se vivent comme des rencontres. Nous privilégions les hébergements en centre-ville, pour une immersion immédiate. Nos visites se font souvent à pied, dans les ruelles, les places, les marchés. Parce que c’est en marchant qu’on ressent le cœur d’une ville.
Nous sommes aussi l’une des rares agences turques à être présentes chaque année au salon IFTM Top Résa à Paris, avec notre propre stand. En 2025, nous y serons de nouveau, fiers de représenter notre pays et de renforcer ce pont vivant entre la France et la Turquie.
A.R. : Face aux tendances changeantes dans le tourisme, comment ton agence s’adapte-t-elle ?
S.D. : Le voyage évolue, et nous évoluons avec lui. Les voyageurs ne veulent plus seulement "voir", ils veulent ressentir, comprendre, échanger. Ils cherchent du sens, de l’authenticité, du temps pour être. C’est dans cet esprit que nous avons développé des expériences immersives : cuisiner avec une famille à Gaziantep, dormir dans une maison troglodytique en Cappadoce, apprendre à fabriquer un savon à Mardin, partager un thé sur un banc à Üsküdar.
Nous sommes à l’écoute. Nous testons, ajustons, co-créons. Le voyage est un être vivant : il respire, il bouge, il se transforme.
A.R. : Quelle est ta position par rapport au tourisme respectueux ?
S.D. : C’est une boussole. Une exigence morale. Respecter les lieux, les traditions, les habitants. Valoriser les initiatives locales, faire travailler les artisans, proposer des groupes à taille humaine.
Le tourisme ne doit pas être une consommation, mais une rencontre. Un émerveillement qui éduque le regard. Et une responsabilité : préserver ce que l’on aime pour que d’autres puissent, à leur tour, s’en émouvoir.
A.R. : Aujourd’hui, comment te définirais-tu ?
S.D. : Comme un passeur. Un trait d’union entre les cultures, les langues, les mondes.
Je me vois comme un traducteur d’émotions. Le voyage est une conversation silencieuse entre l’être humain et le monde. Mon rôle, c’est de permettre que cette conversation ait lieu, dans la douceur, la vérité et la beauté.
A.R. : Qu’est-ce qui t’importe professionnellement et humainement ?
S.D. : L’authenticité, toujours. La sincérité du lien. Offrir un accueil vrai, une hospitalité généreuse. Que chaque voyage ait une âme.
Je veux que les voyageurs repartent avec plus que des photos : avec une étincelle en eux. Une question nouvelle, une émotion, un souvenir qui les suit longtemps. Le voyage peut transformer. Et cela, pour moi, a un sens immense.
A.R. : Un coin de Turquie que tu aimes tout particulièrement ?
S.D. : La Cappadoce. C’est un poème sculpté par le vent. Une terre mystique où l’on marche au milieu des cheminées de fées, des vallées silencieuses, des églises rupestres.
S’y réveiller au lever du soleil, voir s’élever les ballons dans le ciel rose… C’est une expérience qui ne s’explique pas. On ne visite pas la Cappadoce : on s’y abandonne.
A.R. : Un itinéraire que tes clients demandent régulièrement ?
S.D. : Le grand classique reste indémodable : Istanbul – Cappadoce – Pamukkale – Éphèse. Une merveilleuse introduction à la diversité culturelle et naturelle du pays.
Mais les demandes évoluent. De plus en plus de voyageurs cherchent des expériences thématiques : autour du vin, de la gastronomie, du patrimoine soufi, de la photographie ou encore de la méditation. Nos GIR en petits groupes, limités à 12 personnes, rencontrent un vrai succès. Ils offrent ce subtil équilibre entre accompagnement éclairé et liberté de ressentir, de respirer, de s’émouvoir.
Et puis, il y a les itinéraires plus rares, plus profonds, qui touchent au cœur. En tant que natifs de la ville de Kars, une région à la croisée des mondes, nous avons conçu un programme dédié à la Turquie méconnue, à travers un circuit unique qui relie : Ankara – Hattuşa – Amasya – Giresun – Trabzon – Erzurum – Kars – Van, avec un retour en France par Istanbul.
C’est un voyage initiatique, qui fait dialoguer les civilisations et les paysages : – Ancyre, la capitale des Gaulois d’Orient, à laquelle s’adressa saint Paul, – Les rives de la mer Noire, sur lesquelles voguaient les Argonautes, – Le nord-est anatolien, aux confins de la Géorgie et de l’Arménie, cœur du mystérieux Petit Caucase turc, où se rencontrent cultures turques, kurdes et arméniennes.
Ce parcours traverse des terres souvent remodelées par l’Histoire, riches d’héritages : hittite, byzantin, seldjoukide, chrétien et arménien. C’est un voyage dans les hautes montagnes de l’Anatolie, à la beauté sauvage, aux panoramas spectaculaires, idéal au printemps ou à l’automne.
C’est un circuit hors du temps, à la découverte d’un autre visage de la Turquie : profond, métissé, bouleversant d’humanité.
A.R. : Ta plus belle expérience dans la création d’un voyage ?
S.D. : Un couple est venu fêter ses 30 ans de mariage. Nous leur avons organisé une soirée privée sur un bateau, au fil du Bosphore. Plus t**d, ils ont survolé la Cappadoce à l’aube, ont partagé un déjeuner chez une céramiste, se sont laissés surprendre par la délicatesse de chaque moment.
Ils m’ont écrit : « Vous avez rendu notre amour encore plus fort. » Que dire de plus ? C’est pour cela que je fais ce métier.
A.R. : Crains-tu un impact du contexte politique sur le tourisme ?
S.D. : Le tourisme est toujours sensible au contexte, mais la Turquie reste stable, accueillante et sûre.
Les régions touristiques vivent dans la paix, et les visiteurs se sentent très vite entourés, protégés. Nous sommes là pour expliquer, pour rassurer. Rien ne vaut le terrain. Rien ne vaut le réel. Et la Turquie, dans sa réalité, est profondément hospitalière.
A.R. : Quel message aux voyageurs ?
S.D. : Venez avec le cœur ouvert. Laissez vos idées reçues au seuil. La Turquie est un pays vibrant, généreux, pluriel. Elle ne se résume pas, elle se vit.
Et souvent, ceux qui la découvrent repartent émus, bouleversés… et avec une envie irrépressible d’y revenir.
A.R. : Un projet à partager ?
S.D. : Oui, un projet qui me tient profondément à cœur : une collection de voyages culturels autour de la littérature turque et francophone.
Nous imaginons des itinéraires où les mots rencontrent les lieux : escales à Istanbul, Konya, Mardin… rencontres avec des auteurs, lectures, projections. Des voyages comme des récits. Un jour, peut-être, un carnet de route littéraire, pour lire la Turquie autant que la parcourir.
Nous avons d’ailleurs été retenus par l’Association des Amis de Pierre Loti pour organiser un voyage sur les pas de l’écrivain, en retraçant les lieux emblématiques cités dans ses œuvres. Ce type de démarche nous touche profondément. Elle donne du souffle et du sens à notre travail, et nous souhaitons développer davantage ces projets sensibles, nourris d’histoire, de mémoire et de poésie.